La céramique architecturale : Paul Sédille et Jules Loebnitz
Télécharger en PDFLa manufacture Pichenot-Loebnitz a été fondée par M. Pichenot. En 1833. En 1841, M. Pichenot avait commencé la fabrication, devenue si importante, des panneaux de faïence ingerçable pour intérieurs de cheminées et revêtements divers, présentée avec succès à l’exposition de 1844. Ce procédé modifiait la composition de la pâte et non celle de l’émail dans le but de résoudre le problème du « tressaillage » ou de « gerçage » de l’émail. Rompant avec la traditionnelle fabrication de poêles de faïence blanche ordinaire, la manufacture Pichenot-Loebnitz fut l’une des premières a entrer dans la voie de la production de faïences décoratives architecturales, avec en 1849, des faïences peintes par Devers pour orner l’église de Saint-Leu-Taverny.
En 1857, Jules Loebnitz lui succède à la direction de la manufacture. Son père, natif d'Iéna et naturalisé français en 1824, s’était, semble-t-il, allié à la famille Pichenot par un mariage.
Artiste autant qu’industriel, Jules Loebnitz hérita donc de cette manufacture et se passionna pour l’un de ses premiers chantiers : la restauration du château de Blois confiée à l’architecte Félix Duban pour lequel il refit les anciens carrelages des cheminées. Il collabora ensuite avec les architectes les plus éminents de son époque : MM. Eugène Viollet-le-Duc, Laval, Charles Garnier, Just Lisch et Paul Sédille. Entre l’architecte Paul Sédille, à qui l’on doit les Magasins du Printemps ou la Basilique du Bois-Chenu à Domrémy-la-Pucelle, et Jules Loebnitz, naît une véritable amitié qui les engage dans une étroite collaboration tant professionnelle qu’intellectuelle qui débuta en 1867. Le théoricien de la polychromie architecturale avait rencontré celui qui avait apporté des progrès considérables à la céramique française, permettant la fabrication de grandes plaques de faïence ingerçable à émail stannifère décorées de peintures en couleurs vitrifiables très brillantes et de coloris très durables, comme s’en félicitait Brongniart. Plusieurs projets architecturaux naquirent de la collaboration entre Sédille et Loebnitz : pavillons d'exposition Universelle, immeubles d'habitation, villas, hôtels ou monuments commémoratifs.
Un rapporteur de l’Exposition de 1878 décrivait ainsi la porte monumentale du Pavillon des Beaux-Arts construite par Sédille : « Rien n’est beau comme la porte monumentale exécutée par M. Loebnitz et exposée sous le porche des Beaux Arts, d’après le projet de M. Sédille […] tout y est grandiose, d’un décor élégant et savant, d’un émail pouvant braver la température humide de nos hivers […] ». En effet, le portique de la section des Beaux-Arts, dessiné par Sédille, comportait des éléments de faïence dont certains mesuraient pas moins de 1,20 m en tous sens, exécutés par Loebnitz. Leur collaboration fut récompensée par une médaille d’or.
En 1884, à l’exposition de l'Union Centrale des Arts Décoratifs, Paul Sédille réalisa la porte d’entrée ornée d’un écusson central portant la devise de l'union centrale, au décor fortement inspiré de Luca della Robbia. Deux figures de femmes couchées, modelé par le sculpteur André Allar, symbolise le Printemps et l'Automne. Loebnitz eut la réflexion suivante en admirant son travail à propos des deux panneaux qu’il avait exécuté [qui avaient déjà obtenu une médaille d'honneur auparavant à l’exposition d'Amsterdam en 1882] : « au point de vue céramique, je crois (modestement) que ce sont des chefs-d'oeuvre. Dans aucune exposition céramique je n'ai rien vu d'équivalent ». (Texte du 25 août 1884).
Jules Loebnitz fit appel à Sédille pour la rénovation de ses ateliers situés au 4 rue de la Pierre-Levée à Paris, entre 1880 et 1884. La façade était ornée de grand panneaux de céramiques d’après les dessins de Lévy, Grand Prix de Rome. En 1883, Sédille confia à son ami céramiste les terres cuites émaillées de l’enseigne du nouveau magasin du Printemps, les mosaïques provenant d’un atelier vénitien.
« Il convient de marier habilement les céramiques avec les autres matériaux et surtout de les associer dans une gamme harmonieuse les colorations puissantes de vos émaux », tels étaient les conseils que promulguait Paul Sédille à son ami Jules Loebnitz à l’occasion de l’Exposition Universelle Internationale de 1889 à Paris, terminant ainsi sa lettre :
« Je termine donc souhaitant avec vous la généralisation de notre rêve commun, celui d’une décoration vraie, colorée et durable par les terres et les émaux sortis inaltérables du feu ».
Lors de cette même exposition, Loebnitz présentait en tant que membre du jury une « exposition de décoration céramique appliquée à l’architecture », soit un « élégant portique orné d’émaux et de terres cuites. La pièce principale était une cheminée monumentale en briques apparentes, ornée de décors émaillées et comportant sous la voussure deux groupes de personnages grandeur nature en terre cuite de ton naturel ; architecture de M. Paul Sédille, figures d’André Allar ». L’exposition du 1889 fut l’apogée du fer et l’âge d’or de la céramique.
Le rêve commun de Sédille et Loebnitz se traduit par la volonté d’une architecture polychrome de l’un, rendue possible par la céramique architecturale de l’autre. Loebnitz sut exploiter la faïence ingerçable pour créer de véritables pièces d’architecture, qui faisant corps avec la construction, résistaient aux chocs thermiques extérieurs tout en offrant un support parfait à des émaux traditionnels à base d’étain. La céramique architecturale décorative était née.
Les commandes se multiplient et Lœbnitz, assisté de son fils Jules-Alphonse depuis 1880, livre entre autres les décors des gares du Champ de Mars et du Havre, du théâtre de Monte-Carlo, les carreaux de la coupole du monument à Jeanne d’Arc à Rouen. Jules Loebnitz continua à triompher aux nombreuses expositions industrielles et décoratives de l’époque. A sa mort, en 1895, Sédille entreprit de lui ériger une sépulture au Père-Lachaise.
L’entreprise s’illustrera encore avec Jules-Alphonse, dorénavant successeur, notamment à l’exposition de 1900 où il présenta une fontaine entourée d’un édicule qui figurait à l’extérieur. Cette fontaine était le fruit d’une collaboration entre Jules-Alphonse Loebnitz et Paul Sédille.
La crise de 1929, une concurrence sévère et l’industrialisation de la céramique contraignit la manufacture, comme beaucoup d’autres, à fermer ses portes en 1935.
Bibliographie
Découvrez notre site dédié à la manufacture Loebnitz
Discover our website dedicated to the Loebnitz Factory