La cristallerie Baccarat au XIXe siècle
Télécharger en PDFCréée sous le règne de Louis XV, la cristallerie doit sa renommée internationale à ses participations tout au long du XIXe siècle et jusqu'en 1937 aux grandes expositions. C'est durant cette période que la manufacture s'illustre aux yeux du monde par l'excellence de sa production et sa recherche constante d'innovations et rapportant à chaque fois des médailles. Ses réalisations influencent les autres manufactures de verre et de cristal européennes pendant les décennies qui suivirent et donnent le ton en matière de techniques d’exécution et de modèles stylistiques.
Les innovations techniques
En effet, dès 1824, la taillerie est dotée d’une centaine de tours actionnés par l’énergie hydraulique et non plus par la seule force des pieds des tailleurs. Baccarat est ainsi la première cristallerie française à adopter ce système venu d’Angleterre. La même année un verrier de la cristallerie, Ismaël Robinet, a l’idée de relier l’une des extrémités de la canne à une pompe à air compressé. Ce procédé est alors repris dans de nombreuses cristalleries et vaut à son inventeur une médaille d’or et une pension à vie de la part de cristallerie. Néanmoins, cette innovation est supplantée au début des années 1830 par une nouvelle technique dite des « moulures en plein » venue des États-Unis. A partir de 1839, la gravure à la roue ne cesse de se développer en raison d’un important succès commercial de ces décors, incitant Baccarat à rechercher des moyens d’en produire plus et à moindre frais. Ainsi, la cristallerie achète en 1865, le procédé de gravure par bain d’acide fluorhydrique mis au point par le chimiste L. Kessler, et l’applique aussitôt sur sa production, lui permettant de produire des décors élaborés à moindre coût. C’est également chez Baccarat que l’un des principaux problèmes rencontré au cours de l’élaboration du cristal est résolu, celui d’obtenir une matière parfaitement transparente, sans la moindre trace de coloration. C’est à son ingénieur François-Eugène de Fontenay que la cristallerie doit cette solution, qui en 1840 décide de remplacer l’oxyde de manganèse par de l’oxyde de nickel. Véritable bond dans l’industrie du cristal, cette nouvelle méthode vaut à la cristallerie une médaille d’or à l’Exposition des produits de l’industrie française de 1844. Enfin, c’est aussi à la cristallerie de Baccarat que sont mis au point les plus beaux cristaux colorés dont la multitude des tons lui valent une nouvelle médaille d’or à l’Exposition des produits de l’Industrie française en 1839 et éclipsent la concurrence de Bohème qui avait jusqu’à cette date les techniques les plus élaborées. Parmi les couleurs phares on peut notamment citer le Vert agate et le Bleu céleste crées en 1842, ou encore le rose et le célèbre Rouge rubis mis en place en 1847 ainsi que divers tons de vert comme le Vert émeraude ou le Vert perroquet.
Les Expositions Universelles
Baccarat, comme nombreux autres industriels français, refuse de participer à la première Exposition Universelle qui a lieu à Londres en 1851, par crainte d’une concurrence potentielle et par opposition à toute idée de libre échange. Son absence est déplorée par Eugène Péligot dans son rapport. Il faut attendre quatre ans plus tard, que soit organisé le second évènement à Paris pour que la manufacture présente notamment deux immenses candélabres de plus de 5m de haut portant chacun un bouquet de 90 bougies et un lustre exceptionnel par sa taille (5m x 3m) agrémenté de 140 bougies jouant avec les milliers de pampilles. Baccarat y remporte une Grande médaille d’honneur et se voit placer à la tête des cristalleries européennes.
Lors de sa seconde participation à l’évènement en 1867 à Paris, la cristallerie expose sur son stand une fontaine monumentale de plus de 7m de haut, deux vases gravés par Jean-Baptiste Simon, ainsi qu’une multitude de services, coupes, vases et lustres. Elle y remporte la récompense suprême, le Grand Prix et son administrateur, Emile Godard-Desmaret, le grade d’Officier de la Légion d’Honneur.
A l’Exposition Universelle de 1878 qui eut lieu à Paris, la pièce maîtresse du stand de la cristallerie est un temple en forme de rotonde abritant un Mercure volant en bronze argenté d’après une sculpture de Giambologna acheté par le roi du Portugal Don Louis en 1892. Elle y expose également une série de copies de lustres d’après des originaux du XVIe siècle conservées au Louvre, pour lesquels la critique reprochera une absence de volonté créatrice. Pourtant, y sont déjà également exposées des pièces orientalisantes et des vases japonisants, annonçant une évolution stylistique. Malgré les avis divergents, Baccarat remporte à nouveau le Grand Prix.
Baccarat ne participe pas directement à l’Exposition Universelle de 1900 mais se présente dans la section économie sociale et remporte deux Grands Prix pour la rémunération du travail et les institutions de prévoyance. Cependant, le magasin parisien « Le Grand Dépôt » ¹ aussi surnommé le « Palais des Arts et du Feu » présente dans le cadre de cette exposition deux somptueuses pièces de la cristallerie. Il s’agit de deux immenses vaisseaux ornés de bronze, œuvre du sculpteur Charles Vital-Cornu, symbolisant la ville de Paris. L’un d’eux est aujourd’hui conservé au Corning Museum of Glass, l’autre parmi les joyaux d’un palais indien à Bikaner.
L'adaptation commerciale
La seconde moitié du XIXe siècle est marquée par de nombreux bouleversements politiques qui entraînent une vie économique particulièrement vacillante à laquelle la cristallerie doit s’adapter. À la fin des années 1850, la restructuration de Paris incite la grande bourgeoisie à se faire construire des immeubles et des hôtels particuliers ce qui entraîne une affluence de commandes de luminaires et de services à la manufacture. Durant le Second Empire, Baccarat augmente considérablement ses ventes à l’exportation grâce aux Expositions Universelles et une politique prudente de production et de gestion des stocks est mise en place entre 1874 et 1914 permettant à la cristallerie de maintenir son cap tout au long des perturbations du dernier quart du XIXe siècle. En 1908, des salons attenant au magasin sont aménagés pour faire face à la modernisation des lustres liée au développement de l’électricité, selon le vœu exprimé lors du conseil d’administration « Nous n’avons pas la possibilité de montrer aux acheteurs les lustres électriques dans des conditions leur permettant de juger de leur effet dans le milieu où ils doivent être placés Cette lacune nuit à la vente et nous avons voulu la combler en installant des salons de dimensions semblables à celles que l’on trouve dans les appartements bourgeois. »
Les signatures
Les œuvres de la cristallerie sont très rarement signées entre 1764 et 1860, année où apparaissent les première étiquettes en papier collé représentant une carafe, un verre à pied et un gobelet. Malheureusement, peu sont encore présente sur les pièces produites à cette période puisqu’une fois l’objet acheté, l’étiquette était généralement retirée. En 1875, le cachet au nom de la cristallerie apparaît sur quelques modèles moulés et les parties en bronze. À partir des années 1920, les flacons de parfum sont systématiquement signés mais il faut véritablement attendre 1936, pour que la marque « BACCARAT » accompagnée d’une carafe et de deux verres apparaissent sur l’ensemble de la production hormis la lustrerie. En effet, ce n’est seulement que depuis 1997, que les tous les lustres se signalent par une perle de cristal rouge.
¹ Ce magasin ouvre ses portes en 1863 rue Drouot à l’initiative d’Émile Bourgeois où il propose principalement à la vente des articles d’orfèvrerie, de céramique, de porcelaine, de verre et de cristal provenant des maisons les plus renommées françaises et étrangères.
Bibliographie
Baccarat: la légende du cristal; [catalogue d'Exposition "Baccarat, la légende du cristal", présentée au Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris du 15 octobre 2014 au 4 janvier 2015]
Sautot Dany, Baccarat, une manufacture française, editions Massins, Paris, 2003