Marbre Campan
Télécharger en PDFLe marbre Campan est un type de marbre issu des carrières du site Campan situées sur le plateau de Payolle (lieu dit Espiadet) dans la haute vallée de l'Ardour dans les Hautes-Pyrénées. Ces carrières produisent plusieurs variétés qui se trouvent parfois le long d'un même et immense front de taille : le Campan rubané, le Campan vert, le Campan rose et vert, le Campan grand mélange et une variété de Griotte rouge. Toutes sont reconnaissables par leurs veines vertes sombres et marquées.
Ces carrières sont exploitées dès le Ier siècle avant Jésus-Christ par les Romains. Aux IIème et IIIème siècles après Jésus-Christ, une variété de vert tendre griotté, appelée cippolino mandolato est envoyée jusqu'à Rome. Cette variété, qui peut être traduite littéralement par « Cipolin aux amandes » fait référence aux nodules calcaires de la roche, qui prennent souvent une forme ovoïde similaire aux amandes. Une autre variété, le rosé-vert, est également très diffusée à la même époque : lors des fouilles du port antique de Lyon en 2003, de grandes colonnes de temples fabriquées à partir de ce marbre ont été retrouvées. Aucune autre province de la Gaule romaine n'envoie des pierres colorées aussi loin à cette période. Non seulement ces roches pyrénéennes sont appréciées pour leur qualité incomparable mais elles sont aussi faciles d'accès, puisque leur situation favorise l'évacuation des blocs de pierre et le transport des produits finis.
Durant le Moyen-Âge, le site Campan continue de fournir des colonnes de grande qualité, et les anciennes colonnes issues de ces carrières sont parfois réemployées. Certaines colonnes du cloître des dominicains de Bagnères-de-Bigorre, datant du XIIIème siècle, sont taillées dans du marbre griotte.
Toutefois il faut attendre François Ier et le goût du monumental de la Renaissance pour redonner de l’impulsion à la production de mabre. Un des pionniers du retour des marbres pyrénéens est Dominique Bertin, nommé dès 1554 « conducteur des marbres » pour le service des bâtiments royaux sous le règne d’Henri II. Il est chargé de l’envoi des pierres sur les chantiers royaux. Il affirme avoir découvert les marbres pyrénéens, qui selon lui sont encore plus majestueux que ceux de Numidie et de Paros, où les pierres se prenaient auparavant. En 1555, il se sert du marbre Campan pour les plaques et les pointes de diamant du portail de l’hôtel Molinier-Catellan à Toulouse. La disposition de ces marbres crée une véritable polychromie rappelant la disposition de joyaux sur un bijou. Cette association entre les marbres et les pierreries était courante à cette époque. Par exemple, le vert campan faisait souvent référence à l’émeraude. La notion de « marbres bijoux » est aussi influencée par l’aspect de certaines roches et de leurs veinures. L'apparence de la pierre est aussi importante que le souci des couleurs et de leur répartition.
En 1556, l’architecte du roi Pierre Lescot fait régler à Bertin une somme colossale afin qu’il ramène des marbres de toutes sortes à Paris « au port du guichet du Louvre ». L’architecte utilise notamment les marbres pyrénéens en panneaux sur la façade du Louvre d’Henri II, dont certains sont encore visibles aujourd’hui. Ceux-ci sont disposés avec des variétés de marbres anciennes. Ce mélange d'ancien et de moderne est constant puisqu'il permet de renforcer la noblesse des pierres françaises tout en assurant une continuité avec le monde gréco-romain, un lien essentiel lors de la Renaissance.
Mais bientôt, les troubles du royaume freine les actions royales dans les Pyrénées et les affaires de marbre tombent aux mains d’intérêts privés.
Dès la seconde moitié du XVIème siècle, le marbre campan orne les cheminées aux riches décors, qui sont alors en vogue. Jean-François Blondel, architecte français, écrit en 1752 : « [les cheminées] sont ordinairement la partie où l’on affecte le plus de décoration. On a vu dans le dernier siècle des cheminées de marbre ornées d’architecture et de sculpture, qui coutoient des sommes considérables ». Une des plus célèbres de l’époque est sans doute celle de la Renommée au château d’Ecouen, immense et somptueuse. Son manteau rappelle les modèles du palais Farnèse à Rome, tandis que sa hotte droite ornée d’incrustations et en forte saillie illustre parfaitement le style des cheminées à la française. Sur la hotte, des marbres antiques (porphyre vert et vert antique de Grèce) côtoient des panneaux en marbre des Pyrénées, notamment de rosé-vert et de grand mélange de Campan. Ce chef d’oeuvre représente le succès durable des « marbres incrustés » ou des « cheminées à incrustations ».
Dans le premier tiers du XVIIème siècle, l’architecte Pierre Souffron réalise des cheminées en plaques de marbre Campan incrustées majestueuses notamment pour le château de Cadillac, édifié pour le puissant duc d’Epernon, proche d’Henri III. A l’origine, l’édifice contenait une vingtaine de cheminées monumentales mais seules neuf d’entre elles existent encore. Elles sont réalisées entre 1603 et 1615 et attribuées à Pierre Biard et son atelier sous la direction de Souffron. Sur ces cheminées, Souffron fait placer les variétés de marbre Campan dont il faisait commerce : campan vert, rose-vert et grand mélange en font partie. La disposition des pierres témoigne d’une véritable harmonie de volumes et de couleurs.
Toutefois c’est sous le règne de Louis XIV que la production du marbre Campan arrive à son apogée, en particulier dans le palais de Versailles. Ce matériau est utilisé pour la gloire du roi et, comme lors de la Renaissance, pour la restauration de l’âge d’or de l’Antiquité triomphante et l'affirmation d'une certaine fierté nationale. Ce parallèle est notamment illustré par les colonnes de la cour du Grand Trianon, faites à partir de Campan grand mélange, qui associent ainsi un matériau français à une forme antique.
Bien plus qu’un matériau de décoration, le marbre Campan transmet un véritable symbolisme au service d’une rhétorique de la splendeur qui passe notamment par des effets chromatiques et des jeux de lumière. Dans le château, le roi exige une diversité de marbres. Cette profusion caractérise le Grand Appartement réalisé pour l’essentiel par François d’Orbay entre 1671 et 1673 à l’aide de marbres fournis par le banquier Pierre Formont, parmi lesquels se trouvent le campan vert. L’escalier de la Reine, édifié entre 1679 et 1683 par Hardouin-Mansart, premier architecte de Louis XIV et surintendant des bâtiments du roi, est aussi un parfait exemple d’harmonie et de mélange de variétés de marbres Campan, dont les incrustations rappellent l’art de la marqueterie. Sur fond de marbre arabescato de Seravezza, marbre de Carrare, des cadres ovales de Campan grand mélange entourent des pièces de vert (ou aussi appelé « verd verd ») de Campan. La niche du palier est en Campan grand mélange. Des dessins aquarellés de cet escalier témoignent de la réflexion préalable sur les teintes des pierres et leur harmonie.
La cheminée du Salon d’Hercule est aussi un exemple parfait de l’utilisation du marbre Campan dans le château. A partir de 1724, Claude-Félix Tarlé, marbrier du roi, applique les marbres qu’il a découverts notamment à Campan, sous la direction de l’architecte Robert de Cotte et à la demande de Louis XV. Le salon est composé à partir des tableaux du Repas chez Simon et d’Eliezer et Rebecca de Véronèse. Les peintures influencent le choix et la disposition des marbres qui s’accordent avec les couleurs principales des toiles : le vert Campan fait ainsi écho au « vert Véronèse ».
Bien que les marbres pyrénéens ornent le palais en abondance, l’exploitation des carrières de Campan au XVIIème siècle fait l’objet de rivalités et de modifications de gestion. A la mort du ministre Colbert, les travaux sont interrompus pendant un an et les carrières sont laissées aux mains de négoces se préoccupant peu d’une production à long terme. Beaucoup d’efforts financiers et techniques sont nécessaires pour réparer les dégâts laissés par une exploitation sauvage et pour récupérer les bonnes veines des carrières. Quand Louvois, ministre, arrive à la tête des Bâtiments du roi, l'emploi des marbres à Versailles reprend et s'accroît. Son objectif est de mettre fin au mode de concurrence et de confier le contrôle des carrières à un organisateur, Michel-Antoine Martin, en 1684. En 1688, les carrières ferment pour cause de conflit. Toutefois le roi intervient dans le but de protéger le site menacé et en 1692, elles sont décrétées carrières royales afin de revenir sous le contrôle du souverain. Cependant, à la fin du XVIIème siècle, l'exploitation est de plus en plus difficile étant donné la position plongeante des veines de la roche et du climat rude auquel les carriers doivent faire face en hiver et en été. De plus, les dégagements nécessaires pour la reprise de l'activité sont tellement onéreux qu'ils ne peuvent être réalisés.
Au début du XVIIIème siècle, le duc d'Antin, Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin, obtient la direction des Bâtiments du roi et instaure le « Département des marbres du Roy » et une véritable réglementation afin de surveiller la moindre activité dans les carrières. En se rendant lui-même sur le site de Campan, il constate l'état du site, laissé depuis près de 25 ans à une exploitation sauvage malgré les précédentes mesures royales. Le marbrier Claude-Félix Tarlé entreprend alors des travaux en sous-cavage, c'est-à-dire en galerie afin de continuer l'exploitation de Campan sans engendrer trop de frais de dégagement. C'est cette méthode qui sera utilisée jusqu'au XXème siècle. La suppression des sous-cavages au milieu du XXème siècle permet de mettre au jour les traces de découpe dans des veines bigarrées de grand mélange. Elle a également permis de comprendre que parfois les couloirs taillés le long des blocs ne dépassaient pas 80 cm de large, ne laissant que peu de « liberté du coude » aux scieurs.
Aux XVIIIème et XIXème siècles, le marbre Campan est utilisé pour la décoration du mobilier (comme les plateaux de meubles) et des intérieurs. La grande cheminée de la petite salle à manger des appartements de Napoléon III au Louvre, réalisée par Simouillard vers 1860, est par exemple composée de grand mélange. Le marbre Campan orne les cheminées haussmanniennes de style Louis XVI, en vogue au XIXème siècle. Celles-ci rappellent la sobriété des formes de l’Antiquité tout en évoquant un certain faste par l’ajout de motifs végétaux finement travaillés. Cette superbe cheminée en marbre Griotte, proposée sur notre site, est un parfait exemple de l’utilisation du marbre Campan au XIXème siècle. Des ornementations en bronze doré (frise perlée, rosaces) contrastent avec le rouge profond du marbre, mouluré et sculpté au niveau des montants. Ceux-ci sont galbés, cannelés et surmontés de cartouches. A la même époque, le marbre Campan est utilisé dans la fabrication de cheminées de style Louis XIV. Ce style reflète la symétrie et l’équilibre parfait recherché dans l’art antique et l’exprime dans des matériaux français comme le marbre Campan. Cette cheminée à acrotère cannelé disponible sur notre site est réalisée en marbre Campan rubané, très recherché pour ses qualités décoratives. Elle illustre l’association, si fréquente sous Louis XIV, d’une Antiquité prestigieuse à un matériau faisant la fierté nationale. A la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, la variété de Campan vert est à la mode pour les revêtements d'intérieurs d'immeubles et autres édifices à l'étranger comme au Royaume-Uni dans les cathédrales de Westminster, de Peterborough et de Bristol.
Aujourd'hui, les carrières de Campan sont fermées et classées. Toutefois ces variétés de marbre ont marqué le paysage et la décoration françaises et étrangères. Le château de Versailles est sans doute un des exemples les plus édifiants de son utilisation. Marié à des formes antiques et des marbres anciens, le marbre Campan a reflété une certaine fierté nationale. Tantôt joyau, tantôt symbole, tantôt élément de décoration, il était au cœur de véritables enjeux et d'une vision sociale, économique et culturelle de la France.
Bibliographie :
ANTONELLI Fabrizio, LAZZARINI Lorenzo, Le « Marbre Campan » (Cipollino Mandolato) : histoire, diffusion et archéométrie, Revue d’Archéométrie, 24, pp. 111-128, 2000
DUBARRY DE LASSALE Jacques, Identification des marbres, H. Vial, 2000
JULIEN Pascal, Marbres, de carrières en palais, éditions le bec en l’air, 2006
JULIEN Pascal, « Marbres couronnés », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles, 2012