Style Art Nouveau / Ref.03133

Théophile SOYER : Eve et le Serpent bonbonnière émaillée

Émail polychrome et émail translucide peint sur cuivre

Au centre du couvercle de cette bonbonnière ronde, Ève est représentée en buste, la tête tournée vers la gauche et les mains croisées sur ses épaules nues. Elle tient dans sa main gauche une pomme qu’elle s’apprête à croquer, sous le regard tentateur du serpent. Le corps de l’animal ondule, faisant écho à la longue chevelure rousse sinueuse de la jeune femme. Tous deux se détachent sur un fond de pommes rouges et de branchages. On retrouve ici, bien qu’adaptée au format du tondo, la composition créée par Lucien Lévy-Dhurmer en 1896 (Collection Michel Périnet, Paris). Sur la bordure rouge du couvercle sont disposées douze fleurs de pommier écloses, systématiquement accompagnées d’une fleur en bouton et de feuilles vertes.
Reprenant l’un des thèmes bibliques les plus abondamment illustrés, cette œuvre évoque le moment même de la Chute. Adam est cependant absent de cette scène entièrement consacrée à la femme. La sensualité de la représentation, provoquée par la volupté suggestive du mouvement de la jeune femme et des ondulations de sa chevelure rappelle qu’Ève symbolise l’emprise des sens, par opposition à Adam, associé à l’esprit. Toute condamnation semble cependant exclue, étant donné le contexte d’utilisation profane auquel était voué cet objet, destiné à recevoir des bonbons et autre menus objets. Selon Léon Thévenin, qui consacre un texte (La Renaissance païenne) à Lévy-Dhurmer en 1896, Ève est en effet, dans l’œuvre de l’artiste, « un symbole du monde païen, du règne de la nature et des sens ».

    Fils de Paul Soyer (1832-1903), Théophile Soyer fut tout d’abord orienté vers les Beaux-Arts par son père qui souhaitait apporter une dimension artistique nouvelle à l’atelier qu’il avait créé, au 4 bis rue Saint-Saveur, à Paris. Par la suite, il commence à travailler l’émail à Courbevoie avant de rejoindre l’atelier paternel, qu’il reprend en 1896. Il débute véritablement sa carrière artistique au Salon de 1870 et participe dès 1876 aux Expositions de l’Union Centrale des Beaux-Arts appliqués à l’Industrie. Toute sa vie, il va participer activement à la renaissance de l’émail peint amorcée vers 1840 en France. Le style de Théophile Soyer se reconnaît dans le goût pour l’arabesque, influencé par l’Art Nouveau, tout comme dans l’éclat profond et légèrement transparent du rouge, qui témoigne de ses recherches sur la couleur. Cependant, on peut s’interroger sur la nature de son inspiration : s’agit-il d’une œuvre exécutée d’après Lévy-Dhurmer ou d’une collaboration active entre les deux artistes ? Lévy-Dhurmer a en effet manifesté un profond intérêt pour les arts décoratifs, non seulement par ses créations de céramiques, mais aussi en confiant en 1902 à la Manufacture des Gobelins, un carton de tapisserie, Première floraison, représentant à nouveau une Ève tentée par le serpent dans un jardin luxuriant.

Illustrant la rencontre des Beaux-Arts et des arts décoratifs, caractéristique de la fin du XIXè siècle, cet objet met également en valeur les divers effets qu’on peut tirer de la seule technique de l’émail peint. Cette technique s’apparente en effet à la peinture dans le modelé des chairs en léger clair-obscur. La relative transparence provoquée par un faible taux d’oxyde d’étain accuse la ressemblance de l’émail avec la pierre précieuse. Sur le fond de l’objet, l’émail peint imite le cloisonné : le dessin des feuilles de pommier est en effet cerné de fins traits de couleur métallique, évoquant fortement les minces cloisons de cuivre utilisées pour séparer des teintes différentes. La manière dont ce motif naturaliste se détache sur le fond noir rappelle par ailleurs le décor des vases chinois des « familles noires », manifestant une nouvelle fois le syncrétisme de l’inspiration de Théophile Soyer.