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« Et quand je disais que le japonisme était en train de révolutionner l’optique des peuples occidentaux, j'affirmais que le japonisme apportait à l'Occident une coloration nouvelle, un système décoratoire nouveau, enfin, si l'on veut, une fantaisie poétique dans la création de l'objet d'art, qui n'exista jamais dans les bibelots les plus parfaits du Moyen Âge et de la Renaissance. » (Edmond de Goncourt, Journal, 19 avril 1884).


On entend par « Japonisme » un engouement, dans la seconde moitié du XIXème siècle, pour tout ce qui vient du Japon ou en imite le style. Philippe Burty serait à l’initiative du mot « japonisme », titre général qu’il donna à une série d’articles qu’il publie dans la Renaissance littéraire et artistique de mai 1872 à février 1873. Ce sont des artistes en quête d’expression nouvelle qui s’approprient cette découverte, loin des milieux académiques. Manet et les impressionnistes ouvrent la voie à un demi-siècle d’enthousiasme pour l’art japonais, et contribuent alors largement à la révolution esthétique que connaît l’Europe entre 1860 et le début du XXème siècle.

Alors que le Japon reste longtemps inconnu des Occidentaux, il apparaît dès sa première mention dans le Livre des Merveilles de Marco Polo, comme une île civilisée, riche, et puissante. Même après l’interdiction du christianisme et la fermeture quasi-totale du pays en 1639, les relations entre les Européens et le Japon persistent. Les Hollandais, qui seuls étaient admis au Japon, assurent un commerce extérieur dense à partir de la petite île artificielle de Deshima dans le port de Nagazaki, et participent à la circulation des idées. En 1858, la situation change radicalement. Les États-Unis obtiennent un traité pour commercer avec le Japon, et rapidement, d’autres accords sont signés avec les pays européens.

A partir de 1862, les Expositions Universelles entraînent une arrivée importante de laques, soies et porcelaines, objets d’art, estampes ou livres japonais : c’est là que commence véritablement l’ère du Japonisme. Avec ces expositions, la demande est stimulée, le nombre de marchands et de collectionneurs se multiplient, et les artistes se passionnent pour cette nouvelle esthétique. Son « primitivisme » était peut-être à leurs yeux sa qualité première : les artistes appréciaient la capacité de l’art japonais à être proche de la nature, et à réconcilier art et société en représentant, avec la plus grande attention, les objets du quotidien.

En peinture, Édouard Manet, Mary Cassatt, Degas, Van Gogh, Gauguin parmi tant d’autres, s’inspirent fortement de l’art japonais, séduits tant par la composition que l’aplat de couleurs, tant par la richesse des tons que la science de la forme. Les traits cernent le motif, les teintes sont plates et vives, la perspective est absente, les courbes et les grandes diagonales servent à décorer. L’iris japonais, les pivoines, bambous, kimonos, la calligraphie, les carpes, papillons et autres insectes, les corbeaux, grues et échassiers, les chats, tigres ou dragons sont les sources intarissables d’inspiration, d’appropriation et de réinterprétation pour les artistes européens. Loin de copier servilement l’art japonais, les productions occidentales offrent un mélange des styles et des conceptions artistiques. C’est ce que met en évidence la comparaison entre les œuvres de Kitagawa Utamaro et de Degas, de Katsushika Hokusai et de Van Gogh (illustrations 1 et 2).

Les Expositions universelles de 1851 et de 1862 à Londres, de 1867, 1878, 1889 et 1900 à Paris ou encore celles de Vienne en 1873 et de Saint Louis en 1904 présentent un grand nombre d’installations intérieures « chinoises-japonaises » avec porcelaines, bronzes, paravents et tableaux, ces pavillons réunissant à chaque fois le plus grand nombre de visiteurs (illustrations 3 et 4). A Vienne, le « village japonais » attire particulièrement l’attention. Le public découvre en réalité une interpénétration d’influences combinant Japon et Chine avec parfois une difficulté certaine à différencier l’un de l’autre. L’aménagement intérieur connaît également l’influence extrême-orientale : l’intérêt porté à la maison japonaise et à son mobilier par les architectes européens et américains grandit. Charles Rennie Mackintosh, Josef Hoffmann et Gustav Klimt comptent parmi les diffuseurs du japonisme.

Plusieurs ébénistes, parisiens notamment, vont se spécialiser dans le mobilier dit « japonisant ». Gabriel Viardot est à la fois le chef de file des fabricants de ce genre de mobilier, leur plus ancien représentant, et celui qui influence le plus durablement les fabricants de meubles. Le grand cabinet (illustration 5) incarne bien la période et le travail du créateur.
Un autre grand nom, le plus prestigieux, serait celui d’ Édouard Lièvre dont l’apothéose de la carrière correspond à sa production japonisante. D’une grande inventivité, l'ornemaniste échappe toujours au simple pastiche (illustration 6), alors même que l’on est à l’époque des « néo ».
La maison Duvinage tire entre autres sa renommée d’un brevet d’invention pour une « mosaïque combinée », dans laquelle l’ivoire appliqué sur un panneau de bois sert de fond, et dont les éléments sont cloisonnés par des sillons métalliques ; les motifs, incrustés dans l’ivoire, sont réalisés à partir de nacre pour figurer des motifs floraux ou empruntés aux oiseaux.  Un des plus bels exemples de mobilier réalisé à partir de cette technique est aujourd’hui conservé au musée d’Orsay (illustration 7).
Quant à elles, la compagnie Daï Nippon et la Maison des Bambous de Perret et Vibert fabriquent et surtout importent d’Extrême-Orient leurs produits.

Dans le domaine des objets d’arts, l’ Escalier de Cristal, créé au début du XIXème siècle, connaît une production particulièrement prolifique et bénéficie d’un grand renom. Elle collabore avec de nombreux artisans : bronziers, ébénistes, laqueurs et peintres sont chargés de la réalisation des innombrables objets décoratifs qui ornent ses magasins (illustration 8).

Les mouvements Art Nouveau, Arts and Crafts en Angleterre et la Libre Esthétique à Bruxelles sont également influencés par l’art japonais dans leur conception d’unité de l’art. Dans le dernier quart du XIXème siècle, le marchand Siegfried Bing avait parfaitement pris conscience de l’importance de la fusion de l’art et de la vie du Japon en lançant Le Japon artistique en 1888, la conception d’un art indissociable d’un mode de vie dépassait le simple stade de « Japonisme ».

 

 


Bibliographie

S. Wichmann, Japonisme, Milan, 1982.

 

1988, exposition Le Japonisme, Galeries nationales du Grand Palais à Paris, Musée national d’art occidental de Tokyo, RMN, Paris.

Illustration 1 : Edgar Degas, La chevelure, 1900 ; Kitagawa Utamaro, Bijin se coiffant les cheveux, 1801 
Illustration 2 : Katsushika Hokusai, Le mont Fuji vu à travers les pins de Hodogaya sur la route du Tôkaidô, 1835 ; Vincent Van Gogh, Le peintre allant au travail, 1888
Illustration 3 : Pavillon du Japon, Exposition Universelle de Paris, 1900
Illustration 4 : Céramiques du Pavillon japonais, Exposition Universelle de Paris, 1889
Illustration 5 : Grand cabinet de Gabriel Viardot, vers 1895, Corning Museum of Glass, Etats-Unis
Illustration 6 : Meuble à deux corps, Édouard Lièvre, 1877, Musée d’Orsay, Paris.
Illustration 7 : Ferdinand Duvinage, Cabinet, Paris, vers 1880, Musée d’Orsay.
Illustration 8 : Escalier de Cristal, vase, vers 1880, Musée d’Orsay
Illustration 9 : Meuble d’encoignure japonisant, Émile Reiber, Paris, 1874-1878, Musée des Arts Décoratifs, Paris.
Illustration 10 : Claude Monet, La Japonaise, 1876, Museum of fine Arts, Boston
Illustration 11 : William Merritt Chase, Pivoines, 1897
Illustration 12 : Exposition universelle de 1878, Paris, la maison Blot et Drouard proposait au public ces deux vases et jardinière dans le goût japonisant.
Illustration 13 : Exposition universelle de 1878, la Royal Porcelain Works de Worcester dirigée par R.W. Binns offrait également au public des créations inspirées de l'art japonais.
Illustration 14 : Assiette d'un service en faïence exécuté par le céramiste et verrier Eugène Rousseau (modèle de Félix Bracquemond). Rousseau est l'un des premiers à pressentir l'inégalable apport de l'art japonais pour l'industrie française de la céramique. C'est en 1867, qu'il demande à Bracquemond, l'éminent graveur, les planches du service japonais en terre de Montereau, qui comprend plus de deux cents pièces d'un décor différent. Bracquemond emprunta aux maîtres japonais leur manière de représenter les animaux dans des attitudes qui, par la vérité, l'imprévu du geste, donnent sensation de la vie. Ce service eût un immense succès.
Illustration 15 : Panneau décoratif, par Mlle Louise Abbéma (1853-1927).